J'ai ouvert le robinet et quand la vasque de l'évier a été presque pleine j'ai actionné avec vigueur la ventouse. Des débris divers, arêtes, filaments gris, ont coloré et souillé l'eau. Malgré ma répugnance je les ai récoltés et j'ai réitéré l'opération jusqu'à ce que remonte par le siphon ce que j'ai identifié comme un corps, le corps d'un être inconnu, ni scolopendre ni cafard mais sorte de ver, étoilé, brun et gluant, dont je n'ai jamais su s'il appartenait au règne animal, végétal ou minéral. Je me suis empressée de placer cet être indéfinissable dans un sac hermétique et j'ai descendu à toute vitesse les escaliers de l'immeuble. J'ai dévalé la colline et j'ai continué à courir, contredisant ainsi les exercices de lenteur auxquels je m'astreignais depuis plusieurs jours. À bout de souffle, je me suis arrêtée. Un petit macaque, sans doute attiré là par les détritus que charriait le canal tout proche, était assis sur la rive. Il contemplait le courant, immobile, la tête penchée en avant. Il s'est tourné vers moi. Ses yeux vifs, mobiles, perçants, ont fixé les miens pendant un temps qui m'a paru long. Je lui ai souri en guise d'excuse. J'ai eu la sensation qu'il me souriait en retour. Sans réfléchir, je lui ai tendu mon sac. Contre toute attente, il la pris, l'a tenu à bout de bras puis l'a serré contre sa poitrine avant de disparaître dans les herbes hautes. Je l'ai remercié intérieurement de m'avoir délestée d'un poids si lourd.
Olivia Rosenthal, Un singe à ma fenêtre