Comme autrefois, par habitude, à minuit précis, je me déshabille et me mets au lit. Je m'endors vite, mais avant deux heures je me réveille avec la sensation de n'avoir pas dormi du tout. Je suis obligé de me lever et d'allumer. Pendant une heure ou deux je fais les cent pas dans ma chambre, je regarde des tableaux et des photographies que je connais depuis longtemps. Quand j'en ai assez de marcher, je m'assieds à mon bureau. Je reste immobile sur mon siège, sans penser à rien ni éprouver aucun désir; si un livre se trouve devant moi, je l'approche machinalement et lis sans y prendre aucun intérêt. Ainsi, il n'y a pas longtemps, j'ai lu machinalement en une seule nuit un roman entier au titre bizarre : « Ce que chantait l'hirondelle. » Ou bien, pour occuper mon attention, je me force à compter jusqu'à mille, ou je m'imagine la figure d'un de mes collègues et essaie de me rappeler en quelle année et dans quelles circonstances il a débuté. J'aime guetter les bruits. Tantôt dans la troisième chambre à partir de la mienne, ma fille prononce en rêve quelques mots rapides, tantôt ma femme traverse le salon, une bougie à la main, et laisse immanquablement tomber la boîte d'allumettes, tantôt une armoire, travaillée par la sécheresse, craque, ou bien, soudain, le brûleur de la lampe se met à ronfler, et tous ces bruits, je ne sais pourquoi, me tracassent.
Anton Tchékhov, « Une banale histoire » (tr. Édouard Parayre, Lily Denis)