Ce qu'il aime surtout, ce sont les ouvrages d'histoire et de philosophie; en ce qui concerne la médecine il n'est abonné qu'au Médecin qu'il commence chaque fois par la fin. Sa lecture dure toujours plusieurs heures d'affilée sans le lasser. Il ne lit pas avec la rapidité et la fébrilité qui étaient celles de Gromov jadis, mais lentement, avec pénétration, en s'arrêtant fréquemment aux passages qui lui plaisent ou qu'il ne comprend pas. À côté des livres il y a toujours un carafon de vodka et un concombre salé ou une pomme mariné à même le tapis, sans assiette. Toutes les demi-heures, sans quitter son livre des yeux, il se verse un petit verre de vodka et le vide, puis, sans regarder, cherche le concombre à tâton et grignote.
À trois heures, il s'approche avec précaution de la porte de la cuisine, tousse et dit :
Daria, si je pouvais déjeuner... »
Après son repas, assez piètre et mal servi, il va et vient dans l'appartement, les bras croisés sur la poitrine, réfléchissant. Quatre heures sonnent, puis cinq, et il en est toujours à marcher et à réfléchir. De temps à autre la porte de la cuisine grince et laisse apparaître le visage rouge, bouffi de sommeil, de Daria.
Je vous sers votre bière, monsieur ? demande-t-elle l'air préoccupé.
– Non, pas encore..., répond-il. Je vais attendre un petit peu... je vais attendre... »
Anton Tchékhov, Salle 6 (tr. Édouard Parayre, Lily Denis)