Puisque j'ai un abonnement à l'opéra, je vais à l'opéra plusieurs fois l'an. Comme je ne comprends pas la musique, je n'écoute pas. Le plus souvent, je dors, ou je pense. Je pense à tous les opéras que j'ai entendus dans ma vie. Pas écoutés : entendus. Et « entendus » est peut-être déjà trop dire. Je pense à tous les opéras auxquels j'ai assisté, témoin inutile et perdu dans ses propres pensées. Le théâtre de l'Opéra, que je fréquente depuis longtemps et où j'ai longuement dormi et pensé, est un lieu familier, donc accueillant pour moi.
À chaque fois, je me propose d'écouter, à chaque fois, je décide que j'écouterai. Mais très vite mon attention s'évanouit. Pendant de courts instants, de façon involontaire et presque distraitement, j'écoute ; et pendant ces courts instants, je prends plaisir aux sons. La satisfaction d'avoir écouté est si grande que je me perds dans ses eaux, et me voilà de nouveau absente.
Je ne suis pas les trames des opéras. Je ne lis jamais les livrets à la maison : et une fois là-bas, je ne comprends rien aux histoires qui se déroulent et s'enchevêtrent entre chants et musique ; ça ne me fait rien, et en plus, je les hais.
J'ai beau avoir assisté à de nombreux opéras, je me demande à chaque fois si je dois écouter ou regarder. Dans le doute, je ne fais ni l'un ni l'autre. J'ai toujours la sensation, avec la musique, que j'aurais pu l'aimer, mais qu'une erreur tragique fait qu'elle m'a échappée. J'ai parfois la sensation que j'aime peut-être la musique et que la musique ne m'aime pas. Peut-être qu'elle se trouvait à quelques pas de moi, et je n'ai pas su, ou elle n'a pas voulu, traverser ce petit bout d'espace.
Natalia Ginzburg, Ne me demande jamais (tr. Muriel Morelli)