Lorsque la première neige commençait à tomber, une morne tristesse s'emparait de nous. Nous étions des exilés : notre ville était loin, et bien loin étaient nos livres, nos amis, les occupations variées et changeantes d'une existence réelle. Nous allumions notre poêle vert, au long tuyau qui traversait le plafond ; nous nous réunissions tous dans la pièce où était installé le poêle, et là nous faisions la cuisine et nous mangions ; mon mari écrivait sur la grande table ovale, les enfants couvraient le plancher de jouets. Sur le plafond de la pièce était peint un aigle ; et moi je regardais l'aigle, et je pensais que c'était cela l'exil. L'exil, c'était l'aigle, c'était le poêle vert qui ronflait, c'était la campagne vaste et silencieuse, et la neige immobile.
Natalia Ginzburg, « L'hiver dans les Abruzzes », Les petites vertus (tr. Adriana R. Salem)