Vincenzino était un garçon de petite taille, gros, blond et frisé comme un agneau. Sale et débraillé, il avait toujours des boucles trop longues dans le cou, les poches de son imperméable bourrées de brochures et de journaux, les chaussures délacées parce qu'il ne savait pas faire les nœuds, et le bas de son pantalon crotté à force d'arpenter la campagne.
Le vieux Bouboule disait :
« Il a l'air d'un rabbin. »
Il se promenait seul. Parfois il se plantait devant un mur ou une grille, où l'on ne voyait que des buissons d'orties, ou des touffes de cheveux-de-Vénus ; il regardait, il regardait encore, on ne comprenait pas ce qu'il regardait.
Il marchait lentement en tirant de temps en temps de sa poche un journal ou un livre qu'il lisait sans interrompre sa marche, les épaules courbées et le front plissé. Quand il ouvrait un livre, on avait l'impression qu'il tombait dedans, la tête la première.
Il aimait la musique, et sa chambre était remplie d'innombrables instruments à vent. Au crépuscule, il se mettait à jouer du hautbois, de la clarinette ou de la flûte. Il s'en échappait des gémissements très tristes, plaintifs et faibles, semblables à un bêlement.
Le vieux Bouboule disait :
« Faut-il vraiment que je doive toujours l'entendre bêler ? »
Vincenzino avait de mauvais résultats scolaires. Malgré les cours particuliers qu'il prenait toute l'année, il était toujours recalé. Faluche et Mario, plus jeunes, allaient de l'avant, et lui, il restait en arrière.
Il était difficile d'en saisir la raison, étant donné qu'il lisait énormément de livres et connaissait un tas de choses.
Il parlait tout bas, en un vague murmure. Il répondait aux questions les plus simples par des réflexions confuses et verbeuses, qui se dévidaient lentement, sur la vague triste de ce murmure.
Son père disait :
« Je ne peux pas le supporter. »
Il disait, en entendant les gémissements de la flûte, au crépuscule :
« S'il continue de bêler, je l'enverrai aux Pierres. »
Il l'envoyait un moment aux Pierres. Puis il le rappelait, parce qu'il voulait encore l'étudier, comprendre comment il était fait.
« Il ne doit tout de même pas être totalement stupide », disait-il à sa femme.
Il l'emmenait à l'usine, il le conduisait devant les machines. Vincenzino les regardait, voûté, l'air sombre, hébété, les sourcils froncés.
Il les regardait intensément et reniflait, tout comme, dans la rue, il regardait un mur, un arbre ou une touffe d'orties.
Natalia Ginzburg, Les voix du soir (tr. Nathalie Bauer)