En philosophes qui méditent de façon radicale, nous ne possédons à présent ni une science valable ni un monde existant. Au lieu d’exister simplement, c’est-à-dire de se présenter à nous tout simplement dans la croyance existentielle (naturelle­ment valable) de l’expérience, ce monde n’est pour nous qu’un simple phénomène élevant une prétention d’existence. Ceci concerne aussi l’existence de tous les autres « moi », dans la mesure où ils font partie du monde environnant, si bien que nous n’avons plus le droit, au fond, de parler au pluriel. Les autres hommes et les animaux ne sont pour moi des données d’expérience qu'en vertu de l’expérience sensible que j’ai de leurs corps ; or, je ne puis me servir de l’autorité de celle-ci, puisque sa valeur est mise en question. Avec les autres « moi » disparaissent naturellement toutes les formes sociales et culturelles. Bref, non seulement la nature corporelle, mais l’ensemble du monde concret qui m’environne n’est plus pour moi, désormais, un monde existant, mais seulement « phénomène d’existence ».
Edmund Husserl, Méditations cartésiennes (tr. Gabrielle Peiffer et Emmanuel Levinas)