Mezaki m'a invitée à une dégustation de cigales de mer. Je croyais qu'elles ressemblaient à des crevettes ou à des insectes, en moins savoureux, mais les cigales de mer du restaurant où il m'a emmenée étaient incroyablement délicieuses. Elles sont servies juste ébouillantées, dans leur carapace, il faut les décortiquer en se brûlant les doigts, et leur chair est tellement douce qu'on les mange sans assaisonnement, sans même de sauce de soja. Nous en avons oublié l'heure. Nous étions dans l'impossibilité de partir. Et ce n'est qu'après la fermeture de ce restaurant, l'unique de cet endroit, que nous nous sommes rendus compte de la situation : il était trop tard pour le train, il n'y avait pas de voitures en vue, et le seul chemin qui se trouvait là ne menait nulle part. C'était une route bordée de loin en loin par des réverbères qui ne servaient à rien d'autre qu'à rendre la nuit plus noire. Avec des bosquets et des champs d'où on aurait pu voir débouler un cheval ou une vache.Il ne nous restait plus qu'à avancer l'un à côté de l'autre sur ce chemin qui n'a pas varié d'un pouce aussi longtemps que nous l'avons suivi.
Hiromi Kawakami, « Frôlements » (tr. Sophie Refle)