Tant et si bien que la seule chose sûre est que je fréquentais la maison de León Felipe et celle de Pedro Garfias et que je les aidais à ce que je pouvais, époussetant les livres et balayant le plancher, par exemple, et quand ils protestaient je leur rétorquais, laissez-moi tranquille, vous autres, écrivez et laissez-moi m'occuper de l'intendance; et alors León Felipe riait mais don Pedro ne riait pas. Pedrito Garfias, si mélancolique, lui, il ne riait pas, lui, il me regardait avec ses yeux comme un lac au couchant, ces lacs qui sont en pleine montagne et que personne ne va voir, ces lacs architristes et paisibles, si paisibles qu'ils ne paraissent pas de ce monde et il disait, ne te dérange pas, Auxilio, ou merci, Auxilio; et il n'ajoutait rien de plus. Un homme si parfait. Un homme si intègre. Il restait debout, immobile, et il me remerciait. C'était tout, et cela me suffisait. Parce que je me satisfais de peu. Ça saute aux yeux. León Felipe disait ma jolie, disait tu es une fille impayable, Auxilio; et il essayait de m'aider en me donnant quelques pesos, mais moi, en général, quand il m'offrait de l'argent, je poussais les hauts cris (littéralement), je fais ça pour le plaisir, León Felipe, que je disais, je fais ça assaillie par l'admiration. Et León Felipe pensait un moment à mon adjectif et alors moi je remettais sur sa table l'argent qu'il m'avait donné et je continuais mon travail. Je chantais. Moi, quand je travaillais, je chantais, et peu m'importait que le travail soit gratuit ou payé. En fait, je pense que je préférais le faire pour rien (même si je ne vais pas être hypocrite au point de prétendre que je n'étais pas heureuse qu'on me paie). Mais pas chez eux. Chez eux, j'aurais payé de ma poche pour aller et venir librement parmi leurs livres et leurs papiers. Par contre, ce que j'avais l'habitude de recevoir (et d'accepter), c'était les cadeaux. León Felipe me donnait de petites figurines mexicaines d'argile; je ne sais pas d'où il les sortait parce que chez lui il n'en avait pas beaucoup. Je pense qu'il les achetait spécialement pour moi. Quelles touchantes petites sculptures. Elles étaient si jolies. Toutes menues, toutes belles.
Roberto Bolaño, Amuleto (tr. Émile et Nicole Martel)